L’implicite langagier et sa compréhension : Une question au carrefour des disciplines

Ce n’est que très récemment au regard de l’histoire des idées et des disciplines que la question de l’implicite s’est posée dans des domaines aussi divers que la linguistique, la psycholinguistique, la théorie littéraire, la didactique de la lecture ou encore la linguistique-informatique. Il faut ainsi attendre les années 70 pour que la linguistique s’empare de cette notion et qu’apparaissent différentes approches théoriques (d’obédience plus ou moins formelle), ainsi que la production d’analyses précises d’expressions agissant comme des déclencheurs d’implicite. Les études en psycholinguistique ont commencé, quant à elles, au cours des années 1980 et s’appuient souvent sur la méthode expérimentale pour décrire les processus cognitifs permettant l’accès aux significations implicites, notamment chez des populations où cet accès semble compromis. Ces études se caractérisent par le fait d’examiner chaque type d’implicite de façon isolée en employant des protocoles variés auprès de populations différentes. En littérature, les théories de l’interprétation et de la réception ont problématisé les notions d’auteur et de lecteur implicites afin de rendre compte des différents niveaux de lecture induits par les récits de fiction. Dans le cadre de la didactique de la lecture, la question de la compréhension de l’implicite comme marqueur du milieu social et de l’âge des élèves se pose dans les années 1990 et les études menées appréhendent l’implicite dans le cadre très général de la notion d’inférence. Quant aux recherches dans le domaine de la linguistique-informatique, celles-ci ont vu le jour dans les années 2010 et ont donné lieu, principalement pour la langue anglaise, à l’élaboration de schémas d’annotation couplés à des systèmes d’apprentissage.


Nombreux sont cependant les domaines restant à explorer pour une théorisation de l’implicite plus opératoire. Les frontières qui marquent sa définition sont floues et l’on note également un certain désaccord sur la nature des phénomènes langagiers qui participerait à son extension. On observe de plus une fragmentation des études touchant à l’implicite où chaque type d’implicite se voit analyser finement, mais indépendamment des autres. Si ce type de pratique scientifique est bien évidemment légitime et fructueuse en soi, il n’empêche qu’elle ne concourt pas à l’élaboration d’une théorie unifiée de l’implicite comme Sperber et Wilson (1989) avaient, par exemple, tenté de le faire. L’accord sur l’approche gricéenne (1975) de l’implicite en tant que « vouloir dire » n’est intrinsèquement guère suffisant pour mener à bien des analyses, car il conduit – tel un tamis dont les trous seraient trop gros – à considérer que tout dans le langage relèverait de l’implicite.


Mais est-il possible de penser l’implicite au singulier ? L’hétérogénéité des phénomènes langagiers que cette dénomination recouvre (présupposition, implicatures, ironie, tropes, implicite argumentatif, intonation, etc.) n’induit-elle pas à poser qu’il serait plus pertinent de raisonner toujours au pluriel en termes d’implicites ? Autrement dit, peut-on élaborer, tout en différenciant les propriétés linguistiques régissant ces implicites, une approche explicative mettant en relation ces différentes acceptions de l’implicite et qui serait utilisable par toutes les disciplines qui travaillent sur cette problématique ? D’un point de vue épistémologique, l’usage fréquent mais vague du terme d’« implicite » dans les analyses incite à penser que cette expression serait en voie de théorisation, si bien qu’elle ne correspondrait qu’à une notion et non à un concept opératoire. Le fort rendement actuel ne peut-il pas alors s’expliquer par le recours à l’intuition des chercheurs et la nature relativement lâche de son contenu définitionnel qui autoriseraient son emploi sans autre forme de procès ?

C’est à ces questions que ce colloque entend apporter des éléments de réponses en confrontant les besoins et les apports théoriques qui ont émergé dans les domaines de la philosophie, de la linguistique, de la psycholinguistique, de la didactique de la compréhension, de la théorie littéraire et de la linguistique-informatique. Une session sera aussi réservée aux historiens des sciences du langage, afin de remettre en cause l’idée erronée selon laquelle la théorisation de l’implicite daterait de la réflexion gricéenne (1975). De même, une réflexion spécifique sera amorcée autour des questions d’enseignement, d’apprentissage et de formation des enseignants sur l’implicite comme objet scolaire particulier. Les communications pluridisciplinaires – exposant, par exemple, des travaux conjoints menés par des didacticiens et des linguistes ou des linguistes-informaticiens – sont également attendues, afin de rendre patent les nouvelles problématiques qui émergent de ce type de synergie.


Axe 1 : L’implicite : questions théoriques
- Quelles(s) typologie(s) pour les implicites ?
- Comment se combinent les différents implicites ?
- Y-a-t-il une hiérarchie des implicites, des implicites plus forts que d’autres ?
- Le langage « littéral » est-il une vue de l’esprit ?
- Quelle place pour l’intentionnalité dans la production et la compréhension de l’implicite ?
- Les types d’implicite sont-ils universels ou sujets à des variations interlinguistiques ?
- Comment l’implicite ou les différentes formes d’implicite ont-ils été théorisés au cours des siècles ?
- Quelles approches de l’implicite la théorie littéraire propose-t-elle ?
- Comment l’implicite structure-t-il les récits de fiction ? Les mécanismes à l’œuvre sont-ils
différents de ceux intervenant dans les conversations orales ?
- Comment le rapport texte-image génère-t-il des implicites ?
- Comment l’implicite est-il annoté dans les corpus textuels ?
- L’implicite véhiculé par les images dans les albums est-il susceptible d’un traitement
informatique ?
- comment font les écrivain.e.s pour « écrire l’implicite » ?

Axe 2 : La compréhension de l’implicite
- L’implicite est-il prédictible, calculable ?
- Quels sont les processus en œuvre dans le traitement de l’implicite ? Y-a-t-il des processus communs aux différentes formes d’implicite ? Ou devons-nous cibler les processus de chacune ?
- Quels facteurs textuels (lexique, cohérence ...), paratextuels (prosodie, expressions faciales, illustrations, etc.) et contextuels (caractéristiques de la situation, des interactants, etc.) influencent la compréhension des différentes formes d’implicite ?
- Quels facteurs individuels (théorie de l’esprit, fonctions exécutives, capacités inférentielles, etc.) et environnementaux (niveau socio-culturel, fréquence d’usage, culture, etc.) influencent la compréhension des différentes formes d’implicite ?
- Comment le choix d’un niveau d’analyse (mots, phrases, discours, conversations, etc.) impacte-t-il notre compréhension des processus de compréhension de l’implicite ?
- Comment se développe la compréhension de l’implicite chez l’enfant ?
- Comment l’étude des populations atypiques (troubles du spectre de l’autisme, spectre de la schizophrénie, etc.) peut-elle éclairer l’étude des processus de compréhension de l’implicite ?
- La compréhension de l’implicite implique-t-elle des processus automatique ou contrôlés ?
- De quelle(s) manière(s) les méthodes d’étude on-line (oculométrie, chronométrie, etc.) et la neuro-imagerie (TEP, IRMf, NIRS, etc.) peuvent-elles contribuer à l’étude de la compréhension de l’implicite ?
- Quel décodage de l’implicite chez les élèves avec des troubles neuro-développementaux ? Pouvons-nous trouver des signes précurseurs pour les élèves qui développeront une dyslexie ?
- Y-a-t-il une différence de compétence en matière d’implicite pour les élèves allophones (bilinguisme simultané ou successif) ? Une faible maîtrise de l’implicite en L1 a-t-elle des répercussions sur leurs aptitudes en L2 dans le cas du bilinguisme successif ?


Axe 3 : Implicite, traitement, éducation et formation
- Quel est l’impact de la prise en compte de l’implicite dans les applications TAL (analyse discursive, détection de l’ironie, de sentiments, traduction automatique, etc.) ?
- Quels savoirs théoriques relatifs aux différentes formes d’implicite peuvent-ils être didactisés, du côté de l’enseignant ? Du côté de l’élève ?
- Quels choix d’œuvres littéraires, documentaires l’enseignant peut-il effectuer ?
- Quelles compétences les élèves doivent-ils mobiliser pour accéder à une compréhension des implicites en lecture ? Que sait-on de leur développement ?
- Quels entrainements permettent d’améliorer la capacité à inférer ?
- Quelles stratégies d’enseignement de la compréhension des implicites peuvent être proposées aux enseignants ? Que peut-on dire de l’efficacité de ces stratégies d’enseignement sur le développement des capacités de traitement de l’implicite des élèves ?
- Comment définir une rééducation adaptée, afin d'aider les enfants avec un trouble neuro-développemental à développer les compétences requises pour accéder à une meilleure compréhension des implicites au quotidien ?

 

 

Conférencières et conférenciers invité·es :
Jane Oakhill (University of Sussex)
Joana Garmendia (University of Basque Country)
Véronique Moriceau (IRIT, University Paul Sabatier - Toulouse 3)

 

Financement

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